Allocution du Cardinal Ricard

Archevêque de Bordeaux, Evêque de Bazas
Dimanche 16 décembre 2018

Chers amis,
Je souhaite vous exprimer la joie qui est la mienne de participer ce soir au dévoilement et à la bénédiction de cette magnifique fresque de l’Apocalypse de Saint Jean.
Il y a toujours eu au cours des siècles une connivence profonde entre l’Église et l’art, entre des artistes et des hommes d’Église ou plus largement des croyants.
Dans sa Lettre aux artistes le pape Saint Jean-Paul II écrivait : « 12. Pour transmettre le message que le Christ lui a confié, l'Église a besoin de l'art.
Elle doit en effet rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le monde de l'esprit, de l'invisible, de Dieu.
Elle doit donc traduire en formules significatives ce qui, en soi, est ineffable. Or, l'art a une capacité qui lui est tout à fait propre de saisir l'un ou l'autre aspect du message
et de le traduire en couleurs, en formes ou en sons qui renforcent l'intuition de celui qui regarde ou qui écoute.
Et cela, sans priver le message lui-même de sa valeur transcendantale ni de son auréole de mystère.
L'Église a besoin, en particulier, de ceux qui sont en mesure de réaliser tout cela sur le plan littéraire et figuratif, en utilisant les infinies possibilités des images et de leur valeur symbolique.
Dans sa prédication, le Christ lui- même a fait largement appel aux images, en pleine harmonie avec le choix de devenir lui-même, par l'Incarnation, icône du Dieu invisible ».

Cher François PELTIER, par la réalisation de cette fresque, vous nous offrez une entrée dans cet univers fascinant, déroutant et complexe de l’Apocalypse.
Vous nous aidez dans la lecture et la compréhension du texte biblique mais, par votre peinture, vous pouvez aussi donner à un large public, peu familier de la Bible,
l’envie de découvrir le texte lui même. Votre art attire notre attention, nous ouvre sur un autre monde et permet à la Parole de Dieu de toucher mystérieusement les coeurs.
Comme l’écrivait le pape Jean- Paul II : « 13. De fait, le religieux est l'un des sujets les plus traités par les artistes de toutes les époques.
L'Église a toujours fait appel à leur capacité créatrice pour interpréter le message évangélique et son application concrète dans la vie de la communauté chrétienne.
Cette collaboration a été source d'enrichissement spirituel réciproque » (Lettre aux artistes).
Vous contribuez aussi dans ce haut lieu, religieux et culturel à la fois, du cloître de SaintÉmilion à faire connaître un élément important, et souvent méconnu, de la culture religieuse.
Par la liturgie, nous connaissons quelques passages du livre de l’Apocalypse. Mais cette lecture parcellaire ne nous donne pas les clefs de la compréhension de ce texte.
C’est la totalité du texte qui nous les donne. Jacques ELLUL l’avait fortement souligné. Dans son livre L’Apocalypse, architecture en mouvement, il écrivait :
« Je tiens que l’Apocalypse doit être lue comme un ensemble, dont chaque partie prend sa signification par rapport au Tout : autrement dit, on ne comprend pas l’Apocalypse verset par verset.
Il importe peu que l’on déchiffre le symbolisme des deux prophètes ou du dragon, en soi, ou même dans une brève séquence :
chacun a son rôle dans son rapport à la globalité. Et c’est celle-ci d’ailleurs qui permet d’échapper au détail des représentations qui cachent la forêt :
chacun des symboles est un arbre de la forêt, mais c’est la forêt qu’il s’agit de saisir en tant que telle » (p. 20).
A travers cette fresque, vous nous donnez, cher François PELTIER, la possibilité de saisir la forêt en tant que telle.
Peindre une fresque de cette dimension a pu sembler une gageure. Certains se sont peut-être dit : pourquoi pas une oeuvre plus réduite ?
Une présentation de morceaux choisis de l’Apocalypse ? Vous avez relevé le défi de la fresque. Vous avez bien fait.
La compréhension même de l’oeuvre le demandait. Je souhaite que la visite et la découverte de cette fresque donnent envie à beaucoup de lire le texte de l’Apocalypse.
Il faut sans doute s’entraider à entrer dans la compréhension de ce texte passionnant mais difficile.
Il revient à votre secteur pastoral de Saint-Émilion de proposer des conférences ou des études bibliques sur le sujet.
Il est important, en effet, d’apprendre à lire ensemble, non pas simplement pour situer ce texte dans le contexte qui l’a vu naitre
mais pour permettre à la parole de l’Écriture de nourrir notre foi. En effet, la révélation que Jean a reçue à Patmos a quelque chose à nous dire aujourd’hui.
Elle est une invitation à l’assurance et à l’espérance dans un monde tragique.
Alors que nous risquons d’être fascinés et impressionnés par toutes les forces du mal qui semblent mener le monde, le prophète nous dit au nom de Dieu : « Ne craignez pas ».
Regardez le Christ, celui qui a été transpercé mais qui est le premier-né d’entre les morts. Il est l’Alpha et l’Oméga.
C’est lui qui est le vainqueur du mal et du Malin, c’est lui qui détient les clés de la mort et du séjour des morts, c’est lui qui est le Souverain de l’univers.
Tout ce livre est là pour illustrer et servir cet encouragement du Christ à ses disciples que l’on trouve dans l’évangile de Jean :
« En ce monde, vous faites l’expérience de la diversité, mais, courage, j’ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33).
Oui, nous avons besoin aujourd’hui de cette parole forte pour tenir dans la foi.
En terminant cette brève allocution, je voudrais me tourner vers vous, Monsieur l’abbé, Cher Émeric. Je parlais plus haut de gageure.
De fait, l’entreprise, au point de départ, n’était pas évidente. Elle a pu paraître un peu folle. Pourrait-on la réaliser ? La financer ? La présenter dans le cloître de la Collégiale ?
Je vous félicite d’en avoir pris l’initiative, d’avoir poursuivi le projet avec ténacité et aujourd’hui d’en poursuivre la réalisation
avec Monsieur François PELTIER, la paroisse de Saint-Émilion et l’Association des Amis de la Collégiale.
Je sais que vous êtes habité par la conviction que l’Église a toujours fait appel aux artistes pour s’approcher du divin par la beauté
et que cette responsabilité spirituelle et missionnaire qui est la sienne n’est pas de l’ordre du passé mais qu’elle doit se traduire par des initiatives actuelles..
La fresque de l’Apocalypse de Saint-Émilion en est une magnifique illustration. Soyez-en tous remerciés.
Notre office des vêpres va se poursuivre par la bénédiction et l’encensement de l’oeuvre.
Je souhaite que cette bénédiction descende sur l’artiste qui l’a réalisée, sur ceux qui l’ont voulue et soutenue, mais aussi sur tous ceux et celles qui la regarderont.
Qu’elle ouvre le coeur de chacun au Seigneur qui vient.
Puissions-nous faire nôtres ces paroles sur lesquelles s’achève le livre de l’Apocalypse : « Amen, viens Seigneur Jésus » (Ap. 22, 20).

+ Jean-Pierre cardinal RICARD
Archevêque de Bordeaux